Voici une lecture dans le cadre de ma participation pour le meilleur polar 2013 de Livre de Poche. Et à nouveau, voici une bien belle découverte, qui m’a réservé une surprise quant à son classement dans la catégorie Thriller. Mais je vous en reparle juste après vous avoir fait un résumé des premières pages :
Konrad avait 7 ans quand il a été adopté par Herman et Signe. L’accueil a été mitigé, surtout de la part de Klas, leur fils naturel. A l’age de 17 ans, il a décidé de partir, fuir le quotidien compliqué d’un fils de Polonaise, rejeté par tous, pour parcourir le monde. Il est devenu grand reporter en Allemagne.
Son retour à Tomelilla est du au meurtre de ses parents adoptifs : ils ont été abattus d’une balle dans la tête dans leur maison. Evidemment, Klas et Konrad sont parmi les suspects, puisque leurs parents ont plusieurs millions sur leur compte en banque, qu’ils ont gagné à la loterie. Konrad va donc parcourir sa ville « natale », entre souvenirs et rencontres, sans forcément participer à l’enquête, mais en voyant le vrai visage de cette petite ville de la campagne suédoise.
Comme je vous le disais, je ne comprends pas pourquoi ce roman a été classé dans les thrillers. Car il n'en a aucun des atouts, aucune des caractéristiques, aucun des codes, ce qui ne veut pas dire qu'il n'est pas intéressant, loin de là. Nous suivons Konrad, sorte de personnage apatride, sans passé, sans présent et avec un futur incertain qui revient dans sa petite ville natale à la suite du meurtre de ses parents adoptifs.
Cela donne à l'auteur l'occasion de décrire la vie des petites gens, et le roman, qui au départ semble une peinture bien propre de la société suédoise, se fissure pour laisser place à une image bien terne d'un pays en crise, prise avec ses démons du passé et ses douleurs, ses cicatrices et ses horreurs. Il y a quelque chose de pourri dans la société suédoise, comme aurait dit Robin Cook.
Olle Lonnaeus prend son temps pour dérouler son enquête à travers les yeux d’un homme qui n’est pas directement impliqué (à part qu’il fait partie des suspects), le rythme est lent mais c’est aussi pour mieux montrer les cicatrices qui minent les habitants de Tomelilla, en particulier leur implication dans la seconde guerre mondiale aux cotés des nazis et le racisme ordinaire qui ne se voit que difficilement.
Konrad va donc, de rencontres en souvenirs, se rendre compte que cette ville qu’il a fui est finalement un champ de mines, que tous, des commerçants aux voisins, des professeurs aux membres de sa famille d’adoption font tout pour s’enfermer dans leur cocon, et se retournent vers les étrangers, ceux qui ne sont pas du coin et qu’ils abhorrent parce qu’il faut bien un bouc émissaire pour supporter un quotidien pesant.
Si le sujet est classique, on pourrait penser que ce roman est classique, que cela a déjà été maintes fois lu et rabâché. Mais avec un style qui est empreint de nostalgie et de nonchalance, il s’avère un beau portrait d’un témoin de la société suédoise, où tout se veut bien propre vis-à-vis de l’extérieur, mais qui en réalité est bien sombre et dégueulasse quand on frotte le vernis en surface.
Son premier roman s’appelait Vengeance sans visage. Et je le classais dans les romans policiers régionaux. Avec Le complexe de prisme, on garde la même région de Besançon, on sort de l’échiquier le commissaire Desvigne, et on y place le commissaire Bracq, Marianne Bracq. D’ailleurs, à propos de ce roman, je ne suis plus sur de vouloir le classer dans la catégorie Roman Policier. Mais j’y reviens.
Besançon, le 15 juin. Une silhouette se promène dans Besançon. Elle connait les lieux, les recoins de la ville. Arrivée à la Porte Noire, qui n’a jamais si bien porté son nom, une clocharde l’interpelle, pour un peu de monnaie. Elle l’entraine alors dans un endroit un peu plus calme, et avec un stylet acéré comme un cutter, transperce le cœur de la pauvre hère. Puis, elle lui ouvre l’abdomen, pour découper les veines et artères qui retiennent le cœur. La silhouette dépose à coté de la grille son trophée, le cœur de la clocharde.
Marianne Bracq était commissaire à Bergerac. Elle a décidé d’accepter cette promotion à Besançon. Ses premiers contacts se passent bien avec son équipe, contrairement au procureur. Elle se lance dans son travail, sachant que dans une semaine, ses deux filles la rejoindront, deux filles qu’elle a eu avec deux hommes différents. A peine posés ses bagages, la voilà lancée dans cette enquête, où un prisme retrouvé près du corps lui rappelle celui qu’elle a chez elle dans un carton. Et à la suite du deuxième meurtre, elle doit bien se rendre à l’évidence qu’elle est malgré elle bien plus impliquée qu’elle ne le voudrait.
Je vais vous dire une chose : ce roman justifie à mes yeux mon envie de lire des premiers romans. Le premier roman de Fabrice Pichon était un roman policier qui démontrait un talent pour brosser des portraits vivants de personnages et une grande qualité dans la façon de mener une intrigue. Et pour celui-ci, Fabrice Pichon n’a pas grimpé une marche, il en a sauté trois ou quatre tant il fait preuve de maitrise et s’amuse avec les nerfs de son lecteur.
On peut séparer ce roman en deux parties : la première est une enquête policière que je qualifierai de classique, avec ces petits plus qui font que l’on n’a pas envie de lacher le roman. Le personnage de Bracq, flic direct, pressée le jour, déçue en amour, et mère de deux enfants le soir, ses enfants qui lui manquent terriblement. En alternance, des chapitres sont consacrés à l’assassin qui est décrit comme La silhouette. Quelle belle trouvaille, tant je me suis demandé si c’était un homme ou une femme. Et je peux vous dire que ça m’a agacé (dans le bon sens du terme) ! Et puis, on se demande comment les flics vont résoudre ces meurtres qui sont commis sur des personnes pris au hasard dans la rue, sans aucune piste, sans aucun mobile.
Et puis on arrive au chapitre 14, pierre angulaire de ce roman, situé en plein milieu, sorte de transition entre roman policier et thriller. Le parallèle entre Bracq et l’assassin est remarquable d’inventivité, la scène éloquente, les sensations extraordinaires à la lecture. A partir de ce moment là, on connait le nom de l’assassin, et on plonge dans un roman à suspense qui fait doucement monter la tension … jusqu’à la dernière page. Car la fin est tout simplement géniale. Elle est tout d’abord totalement logique par rapport au destin des personnages, et suffisamment ouverte et indécise pour qu’elle laisse une impression de délice.
Fabrice Pichon a parfaitement passé son examen du deuxième roman. Son style a gagné en efficacité, les dialogues en sobriété. Il confirme que l’on peut attendre de lui de formidables romans policiers à suspense. Et en refermant son roman, j’ai eu l’impression qu’il pouvait encore plus nous surprendre, nous éblouir. Pour reprendre une expression d’une amie blogueuse, « on sent bien qu’il en a encore sous le pied ». Alors, monsieur Pichon, je suis prêt à attendre le temps qu’il faudra … Celui-ci m’a emballé, vivement le prochain.
L’avis de Marine : http://lespolarsdemarine.over-blog.fr/article-le-complexe-du-prisme-fabrice-pichon-116265495.html
L’avis de Jacques : http://unpolar.hautetfort.com/archive/2013/03/03/le-complexe-du-prisme-de-fabrice-pichon.html
Et enfin, allez lire le message de l’auteur sur livresque du noir : http://www.livresque-du-noir.fr/2013/03/le-complexe-du-prisme-par-fabrice-pichon/
Black Novel vient de migrer sur la nouvelle plateforme Overblog. Si vous voulez être tenus au courant des publications, vous devez vous réinscrire à la newsletter. Voilà, maintenant que j'ai passé ce petit message personnel, passons à la lecture du jour.
Après deux lectures décevantes, il me fallait choisir un roman distrayant, qui me permettrait de me relancer dans l’envie de lire sans se prendre la tête. Je ne sais pourquoi, le nom de Elisa Vix me faisait de l’œil. De Elisa Vix, j’avais le choix entre deux de ses romans, qui trônaient dans une de mes bibliothèques : La nuit de l’accident ou Rosa Mortalis. Le premier avait été choisi dans la sélection Polar SNCF, le deuxième est une enquête d’un personnage récurrent. Et c’est la couverture en noir et blanc d’une rose qui m’a fait choisir Rosa Mortalis.
Soissons, de nos jours. Le lieutenant Thierry Sauvage n’est pas le genre tête brulée, à courir après les meurtriers. Il s’occupe de la réception des plaintes, remplissant les mains courantes et se complait dans un travail de bureau monotone mais qui ne lui occasionne aucun stress. Car son stress est plutôt à chercher dans sa vie privée où sa première femme Maryse va lui laisser la garde de son premier enfant Victor, et où sa deuxième compagne Valérie vient d’avoir des jumelles sans son accord.
Malheureusement pour lui, le capitaine Lamotte, collègue de Sauvage vient d’avoir une appendicite aigue, ce qui l’oblige à le remplacer au pied levé. Et cela arrive juste au moment où l’on découvre le corps de la jeune Bernie Sainte-Croix chez elle, étranglée, gisant au milieu de pétales de roses bleues. Les Sainte-Croix sont les dirigeants de la célèbre entreprise Royal Soup, qui fabrique et vend de la soupe lyophilisée. Bernie est la sœur jumelle de Thérèse et sont bien différentes : alors que Bernie est expansive et tient une rubrique sur une radio FM, Thérèse est plus secrète et dirige l’entreprise.
Voilà un roman policier qui, outre son intrigue bien menée et bien touffue, va brasser plusieurs thèmes et plusieurs trames qui font de ce livre une lecture fort agréable. Tout d’abord les personnages dont la psychologie est bien maitrisée au travers des dialogues parfois très succulents, sont un régal. Et en particulier Thierry Sauvage qui est un jeune homme qui veut rester jeune et inconscient, refusant la paternité car il considère que cela lui enlève l’affection de ses compagnes. Et puis il y a Joanna, marquée par le viol de sa mère, dont elle est la descendance puisque son père, le violeur, n’a jamais été arrêté.
Il y a aussi le contexte, très politique, puisque Soissons est secouée par des manifestations altermondialistes où des groupuscules se battent contre la société de consommation à outrance en brulant les prospectus sur la place publique. Et Sauvage est d’autant plus impliqué que son ex-femme fait partie de ce groupe. Cela donne aussi droit à quelques remarques acerbes bien trouvées.
L’ensemble donne un roman qui aurait pu partir dans tous les sens mais qui au final est parfaitement maitrisé. Et comme les scènes alternent entre un fil de l’intrigue et l’autre, le lecteur que je suis n’a pas eu le temps de s’ennuyer. Et donc cette lecture a parfaitement rempli son rôle : celui de me distraire. En tous cas, ce fut une belle découverte d’une auteure qui maitrise parfaitement son sujet.
L'avis de Claude est ici
Je ne vais pas tourner autour du pot … ce roman est magnifique. Et ça commence par ce titre, un arrière gout de rouille, comme un gout amer dans la bouche dont l’on ne peut pas se débarrasser, comme s’il ne restait dans cette région reculée des Etats Unis que des regrets, l’impression de ne rien pouvoir faire, d’être dépassé par les événements. Un arrière gout de rouille annonce la mort d’un pays, par la mort de ses âmes, le déclin d’une civilisation par la perte de toute illusion.
Et c’est dans un roman choral à six voix que Philipp Meyer nous dessine sa toile noire. Dans la petite ville de Buell, les industries sidérurgiques ont toutes fermées les unes après les autres. Les grands fours ont été dynamités et il ne reste que quelques vestiges qui sont petit à petit rongés par la rouille. Même les forêts alentour n’ont plus leur éclat. Et comme le dit Grace : « Il fallait de l’argent pour partir, il fallait partir pour trouver de l’argent ».
L’intrigue démarre avec deux adolescents d’une vingtaine d’années, Isaac English et Billy Poe, qui veulent partir de Buell, pour trouver une meilleure vie ailleurs. Car à Buell, il n’y a aucun avenir. A peine sortis de la ville, ils se trouvent pris à partie avec quelques personnages peu engageants et l’un d’eux menace Poe avec son couteau. Isaac lui balance alors une boule d’acier qui tue l’assaillant.
Isaac, c’est le gringalet intelligent, celui qui pourrait s’en sortir avec sa tête, décrocher une place dans une université grâce à ses facultés intellectuelles. Poe, c’est le sportif, reconnu comme excellent en football américain, qui pourrait aussi trouver une université avec ses dons sportifs. Cet accident va bouleverser leur vie : Isaac va s’enfuir et Poe rester. Isaac va s’apercevoir que le reste du pays est en train de sombrer et Poe va être arrêté et décider de ne rien dire.
C’est Harris qui va se charger d’arrêter Poe. Il est shérif dans la petite ville de Buell, et c’est le travail qu’il a trouvé pour ne pas quitter cette ville. Son idéal n’est pas de rendre la justice, son secret, c’est qu’il est amoureux de Grace, la mère de Poe. Cette affaire va lui permettre de se rapprocher d’elle, au risque que cela se termine mal. Il est aussi confronté aux réductions de budget, ce qui lui impose de se séparer de plusieurs hommes alors que la délinquance augmente dans une région ravagée par le chômage. Grace aurait pu partir quand elle en avait l’occasion, mais elle a préféré se sacrifier pour son fils, en étant obligée de l’élever seule puisque son mari ne revient que très épisodiquement.
Isaac va rendre visite à Lee, sa sœur, la seule qui ait eu le courage de partir faire des études ailleurs. Elle est diplômée de Yale mais a été obligée de revenir s’occuper de leur père, paralysé à la suite d’un accident du travail lors de la fermeture des fours. Et puis, l’habitude aidant, la routine finit par vous prendre dans ses bras impitoyables jusqu’au point de non retour où vous ne pouvez plus quitter votre quotidien.
Vous l’aurez compris, au travers de ces personnages aux psychologies très fouillées et très différentes, Philipp Meyer dont c’est le premier roman prend le temps d’aborder de nombreux thèmes sans jamais prendre parti, mais en ne se gênant pas pour lancer quelques vérités, en particulier sur la prédominance des gains économiques sur les vies humaines. Et pourtant ce livre a été publié en 2009, avant la crise financière de cette même année.
Tout au long de ces 535 pages, ces personnages errent à la recherche d’un idéal, confrontés à leurs problèmes bien sur, mais surtout à la recherche d’un but, d’un espoir. Et la ville, la campagne est de la même couleur morose que leur vie, la couleur est triste comme la rouille qui empoisonne leur vie est les maintient bloqués dans cette région maudite, vouée à mourir. Et jamais, je n’ai ressenti de lassitude, toute phrase a sa justification, les dialogues sont étincelants de justesse et le résultat est noir, éloquent, magnifique.
Tous ces personnages sont des gens courageux, des battants qui ont envie de faire quelque chose. On a l’impression qu’ils sont assommés, dépassés par des forces qui les dépassent. Ils ont l’impression de ne plus avoir leur destin entre leur main, ils sont bloqués dans une région qui ne peut vouloir dire que la mort pour eux. Et ce pays qui prône le rêve américain, est finalement impitoyable envers ses gens pour faire plus d’argent.
C’est un véritable roman d’apocalypse, vu au travers de ses victimes que nous donne à voir Philipp Meyer. Et ce roman n’a jamais été aussi contemporain, aussi impressionnant, car il nous montre ce paysage de l’intérieur, à travers des gens ordinaires. Il est bien facile de passer outre, de se boucher les yeux, et d’allumer la télévision. L’autre alternative est d’ouvrir ce roman, et d’accompagner ses six personnages dans leur vie, et votre vision des gens en sera changée.
Ce roman qui a été publié par Denoel en 2010, a été repris par Folio à la fin de l’année dernière. Il n’y a donc aucune raison de ne pas le lire. C’est un roman noir magnifique.Et merci Richard pour cette lecture, un immense merci !
Le blog reste ouvert.
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